Album Cover Stalker

Stalker

Lucio Bukowski

4

L′œil fixé à l'absence évidente de montre à mon poignet

Je laisse passer quelques vies d′ici le bus de la demie

À moitié joie, à moitié rien mais, puisque règne l'agonieJe règle l'addition au broyé et voix au lait caillé

Le Diable tenant l′arme encore fumante levée sur le Monde

Fredonne un succès populaire tournant sur une radio de merde

Élève une chope à moitié bue d′un beau liquide teinté de vert

Le reste, c'est l′imaginaire brouillé étendu sur le monde

Les mythes fraudent aux portillons, ils sont un vague espoir

Mille fois préférable à leur nihilisme de pauvres bougres

Penses-y, le chant des turpitudes s'affale au fond du bouge

La vie dans les iris, je fais le mort que les salauds laissent choir

J′ai traîné le nuit dernière avec Nick Cave et quelques mauvaises graines

Café brûlant dans la gorge, barre en métal à l'âme

Dépouillé de terreur au moins pour deux, trois heures au calme

J′entrevois les entrelacs subtils de grâce qu'ils ont maintenus blêmes

Pugilat général d'ici la fin, budget hollywoodien

Les seuls effets spéciaux que je maîtrise sont des figures de style

Ne payerai pas ma place, la prendrai et, si j′oscille

Me plongerai dans un désert bien plus réel que le saoudien

Qu′est-ce que nous cherchons?

C'que nous trouvons est-il un songe?

Nous noyons-nous dans la folie?

La bouée est-elle piégée?

Chaque radeau est à construire, sommes-nous des cités assiégées?

Des quatrains sur des ratures, des ratures sur des mensonges

Toutes ces idées nous ont brisés

Foules aveugles dans un colimaçon

Avec chacun son avis mais nulle part un équilibre

Alors, oui, nous progressons tel l′unijambiste ivre

Et cette fierté sur le front, c'est nos erreurs que nous traçons

La météo n′annonce rien du côté de nos déluges

Intérieures sont nos chutes, mais nos chutes nous laissent de marbre

J'n′ai plus vraiment de statut

Comme les fruits qui naissent de l'arbre

N'ont pas de carte d′électeur puisque aucun des leurs ne gruge

L′hystérie viendra gonfler les bourses des prophètes

La seule révélation, c'est celle qu′ont trahi nos futurs

Logique que les gosses veuillent

Recouvrir leurs plaies de haute couture

Et rien n'les arrêtera, ni vos lois ni vos trophées

L′oiseau trimbale sa propre histoire, la mienne mérite-t-elle mieux?

Elle se perd dans des bouquins et dans des idées sur la mort

Derrière chaque nativité, la date d'expiration s′amorce

Mon requiem, je l'écrirai, mais sûrement pas dans un tel lieu

Face à la ville, je dépéris, entouré de montagnes, renaît

L'océan m′offre des armes plus puissantes que l′hydrogène

Perdre nos années car la routine resserre nos chaînes

Les décisions se figent et l'eau stagnante prend le relais

Échappée possible dans une possible échappée

Atrophiés, nos sens s′adoucissent et puis se taisent

Sculptés dans la glaise du confort et de la graisse

Les excréments du Leviathan retombés sur nos crânes scalpés

Je m'demande pourquoi j′écris, puis me réponds de la fermer

Ne me vexe pas pour si peu, il faut savoir prendre sur soi

Ainsi la fourmi et les Dieux, ainsi le tueur en sursis

Remarquez que c'est toujours dans la paix que la guerre naît

Interné dans leur foutue liberté de portes ouvertes

Je glisse leurs cachetons sous ma langue et les recrache dès qu′ils s'éloignent

Tous pris dans le capitonnage, seulement combien témoignent?

Pendant qu'nous crevons en silence

De sang, nos vies en sont couvertes

D′amour aussi et j′imagine que ça fait marrer les démons

Le droit chemin est montagneux, il a ses risques et ses lacets

Il pourra bien se pendre avec, enterrement au rabais

Tout est marché potentiel, des pierres tombales ont des néons

J'envisage de défigurer mon art

Pour qu′il voyage anonymement, je connais quelques bons faussaires

Qui se chargeront du passeport, de la photo et du glossaire

Pour mieux bourlinguer, mon frère, je me déleste de mon arme

Dans mes découvertes, je me perds

Dans mes pertes, je me découvre, j'entends le chuchotement des rois

La bande magnétique crachant "Bismillah Khan" dans mon effroi

Se transforme en évidence sur des chemins sans repère

Sans métro ni politique, sans façade, noirci de grâce

Sans ego cherchant à écraser le reste sous son poids

L′autre est l'autre et un peu moi, donc il partage mon repas

Et un verre de cet alcool, j′ai un excellent Single Cask

Dans le caisson d'un bus de nuit, la ville me paraît un cosmos

Entre les phalanges d'un géant, les nations ne sont qu′osselets

Frère, nous sommes si peu, être certain, comment j′oserais?

L'épaisseur d′une feuille de cigarette entre chaos et osmose

Ils vivent en achromate, sans nuance ni couleur

La colère régit leurs nerfs telle une soliste intérieure

Sur un îlot solitaire, sans répondeur ni bulle d'air

Je suis en quête de quiétude, loin des obsessions pécuniaires

Je jette mon fils en l′air, le rattrape et il se marre

Dire qu'il perdra cette confiance, pris dans un monde de confusions

J′aimerais lui offrir les outils, eux n'ont qu'la bombe et la fusion

Alors j′lui chantonne mon amour, à cette heure où l′jour se barre

Chacun lutte à son échelle, certaines n'ont plus beaucoup d′barreaux

Sinon fermant des cellules, où le temps termine le travail

Chacun ses matons autant de formes que de cravaches

Ils veulent redresser les Hommes, ne font que serrer le garrot

Dans nos tragédies modernes, le chœur ne la ramène pas

Les héros ont des smartphones, des Stan Smith, des vies clinquantes

Le seul grec qu'ils connaissent fait le menu à sept cinquante

Tout l′monde s'fout d′s'émanciper, chacun son paradis bourgeois

L'heure viendra où les minutes n′auront plus une seconde à elles

Et le trou noir qui nous attire ne serait qu′une mauvaise blague du temps

Est-il préférable, mon pote, d'échouer en luttant

Que de gagner cette fausse partie dans un néant mutuel?

Je vois mes congénères déçus, s′aimer puis se haïr plus fort

Quelle différence entre les deux?

Les sentiments se disséminent

Être vainqueur selon les règles serait de corrompre ses lignes

Il y a mieux qu'vos lois, c′est de n'rien accepter du sort

Fabriquer ses composants, aucun tutoriel sur YouTube

La victoire sur soi est plus complexe que la poudre

Que la lame et que la foudre, que la chatte et que le foutre

Le mode d′emploi qu'ils vous vendent, c'est la liberté qui vous dupe

Elles sont belles, ces vitrines, ces corps de femmes et ces billets

Cerveaux estampillés, valides par d′autres cerveaux cyniques

Qui ont maquillé le gouffre entre rampant et zénith

Nous vivons dans leurs maquettes depuis nos fondations pillées

Je suis les traces qui s′offrent à moi, choisis le trottoir ombragé

Cet anonymat, j'y tiens, j′les laisse prendre les coups d'soleil

Ils aiment les projecteurs, moi la nuit, donc je manque de sommeil

Ferai des rêves plus tard, quelque part dans une rame encrassée

Juste une seconde prise dans un millénaire

Ça suffira pour que la grâce des choses m′élève et me bâtisse

Ni mieux ni pire, ces questions n'sont qu′abysses

Et, sur un blues kabyle, face à leur matière, je choisirai l'éther

Merde, je m'éternise, moi qui voulais faire concis

Je m′emporte dans le lyrisme, c′est con mais bénéfique

Depuis un café à l'aurore, dans un bar de nuit périphérique

Le résultat est le même, je demeure sur la branche qu′on scie

Enfoncé dans l'ivresse, je me décante apaisé aussi

Entre Haydn et Bone Thugs, Sun Ra et Frédo Dard

Rien à cirer qu′ils comprennent, pour l'unité, il est trop tard

Contrairement à la structure de ce texte, il n′y aura pas d'baiser

Rideau sur la scène, quelques noms au générique

Pour une vie, ça suffit bien, puisque la foule avale nos êtres

Les recrache en bouillie historique dans des programmes au mètre

Qu'ils gavent à l′entonnoir dans des lignées génétiques

Garde dans ton giron l′or précieux de l'amitié

Aucune histoire de kilomètres même si l′oubli est un coma

(Un morceau de vie commun)

Voici la seule richesse qu'on ait

Prendre exemple sur des moqueries

Tout n′est plus qu'hilarité

(Et je resonge à ces immeubles aux terrains goudronnés d′antan)

Les étés en plein cagnard bouffant des trottoirs sans prio

Les boissons fraîches et les délires dans des descentes à vélo

Putain on a vieilli maintenant on élève des enfants

Voici la plaie des décennies, je crois qu'je suis né nostalgique

Du coup ma quête n'a pas d′avenir mais le présent m′apparaît clair

Je fais la part des choses, paix durable et guerre éclair

Chacun ses illusions, chacun ses miracles antalgiques

Un banc d'oiseaux dessine une pluie de grêle

Je note la rime au vol

La reproduis à cette occas′, vous l'entendrez dans quelques mois

Où en serai-je alors, aurai-je déniché quelques voix?

Serai-je en vie, serai-je envieux

Aurai-je la corde serrée au col?

Parcours l′horizon en terrasse

Cette bière est dégueulasse ne m'offre même pas l′Arcadie

Pas même une ébauche d'utopie règne sur leur caddie

Du coup j'augmente les doses chaque jour, élèverai l′ampérage

Acharnons-nous encore mes frères, la vie est résistante

Pendant que les idiots collaborent faut bien que l′actionnaire t'encule

Te fourgue son soda de merde, ses chaussures à virgule

La servitude en tant que mode de vie n′est même plus hésitante

Ne t'attends pas à trouver quelques réponses dans ces lignes

Et c′est là que ça devient fort, je creuse de plus en plus profond

Le tamis ne dévoile rien, je dois être aveugle et trop con

Dans un sens c'est préférable, comme ne pas débattre sur ces lignes

J′ai bien mon idée sur la croix

Le Christ aurait regardé ailleurs s'il avait prévu la bombe H

Plus de trous dans la planète que dans un festival bondage

Le forage se poursuivra vu que la demande s'accroît

Estivale attente, la grande mode en guise de Subutex

J′remplis des plages ouais

Nos points communs s′arrêtent ici, poèmes et vinyles

Du coup mon art se pétrifie, condamne mes idées noires

Dans le carcan de la presse

Je sens venir l'épuisement du flux de création

Les vertèbres écrasées j′en fais un vibraphone vivant

Frappe chaque lamelle hurlant mon gospel en riant

Les divisions se multiplient, voici leurs seules opérations

Plus je creuse, et plus le tas sur le côté me fait de l'ombre

Faut croire que le type qui a fait l′Everest était coriace

Qu'y a-t-il trouvé, a-t-il laissé son corps las

Car l′épuisement dans un but se propage léger comme l'onde

Je lis l'avenir dans mon café froid

Mes oracles sont des hymnes carnatiques sous mauraudeur

Incantation entre macho et midnight maraudeur

M′imprègne du chant des morts, vibrations dans mon beffroi

Usé par les vents porteurs de hurlements sinistres

Mais aussi de cris de joie, chaleurs des chansons de l′enfance

Les temps changent et chacun te produira son engeance

Les gosses grandissent et un matin ils pendront des ministres

Si j'excelle dans la noirceur, ce n′est que pour m'en délivrer

Ainsi que de vous, ne le prenez pas pour de la gratitude

Juste le goût de vivre soûl, de nouvelles attitudes

Car ma propre platitude, j′en ai rempli des livrets

Délibérément sans ambitions sinon c'est de créer

Je n′serai jamais à la mode comme la suse et l'altruisme

Comme un blues noir des années 20 dans un bal sudiste

Un poème anarchiste de Louis Calaferte ou de Ferré

Ce morceau, comme le reste, s'éteindra

Je n′paierai pas la facture, j′m'en fous j′ai toujours des bougies

Tel Diogène, j'ai vu un gosse boire dans ses mains et j′ai rougi

De ne pas me contenter de ce que le vent met dans mes bras

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